lundi 10 février 2014

Hélène


J'ai fait deux années de classe préparatoire littéraire (hypokhâgne et khâgne) au lycée Lakanal à Sceaux. J'ai ensuite intégré l'École Normale Supérieure de Fontenay Saint Cloud qui a déménagé à Lyon un an plus tard.  Deux générations plus tôt, seule l'une de mes grand-mères avait atteint de certificat d'études. Encore a-t-elle dû arrêter l'école à treize ans pour aller gagner sa vie comme bonne.  Cousins compris, je suis la première de ma famille a avoir obtenu un baccalauréat général ! C'est dire si, même si je n'ai jamais souffert de problèmes économiques, mon parcours ne relève en rien de la reprodution des élites !
Et j'ai été heureuse en prépa ! J'étais comme un poisson dans l'eau. Tout ce qui avait fait de moi un étrange individu aux yeux de mes camarades de collège et de lycée devenait une force : curiosité intellectuelle, culture, goûts musicaux, cinématographiques, littéraires... Je pouvais enfin discuter avec ceux qui m'entouraient de ce qui m'intéressait vraiment, construire des intrigues romanesques en arpentant les allées du parc de Sceaux ou aller voir des films impossibles.
Bien sûr, ce n'étais pas facile : il fallait travailler beaucoup. Mais quand on aime ce qu'on fait, le travail n'est pas nécessairement une souffrance. Il est vrai que l'envie de réussir qui nous animait créait une pression qui pouvait être lourde à porter. Le fait que l'histoire ait bien fini m'amène certainement à sous-estimer la difficulté de ces instants. Mais je sais qu'à peine sortie de ces années de classe préparatoire, j'en éprouvais déjà une certaine nostalgie et l'envie de les raconter tant l'expérience avait été intense et fondatrice.
Depuis, j'ai pris mes distances avec le système universitaire et les milieux trop intellectuels. J'ai choisi l'enseignement secondaire en grande part pour retrouver le contact avec le commun des élèves, les milieux dont j'étais moi-même issue. Après dix ans d'enseignement, j'envisage de reprendre une thèse en didactique de l'orthographe suivant des interrogations davantage tournées vers les élèves en difficulté que vers ceux qui nourriront les effectifs des prépas. Mais il n'en demeure pas moins que les classes prépas jouent à mes yeux un rôle difficilement remplaçable. La surreprésentation des élèves socialement favorisés dans ces classes n'est que le reflet d'un système scolaire qui ne permet pas l'égale réussite pour tous. Car l'accès aux prépas elles-mêmes n'est soumis qu'à l'examen du dossier scolaire : tout le monde peut donc y entrer et un élève doué issu de milieux modestes y trouvera vraiment le bouton ascendant de l'ascenseur social.
Je ne peux que rendre hommage aux classes prépas : sans elles, je ne crois pas que j'aurais eu la liberté de devenir moi-même.
Hélène Boilley née Le Levier, hypokhâgne et khâgne au lycée Lakanal de 1997 à 1999.



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