mardi 21 janvier 2014

Rodolphe


De mes 3 années de prépa scientifique au lycée Saint-Louis à Paris, je garde un souvenir d’une exceptionnelle densité. Ceci bien sûr grâce à la solidarité dans les relations entre camarades de « souffrance », mais aussi du fait de la qualité et de la disponibilité des enseignants que j’y ai croisés. Leur niveau d’exigence était redoutable et la quantité de travail toujours supérieure à la ligne d’horizon, mais mon seul regret est de ne pas avoir été plus souvent au niveau requis pour en profiter pleinement. Avec le recul il est clair que c’est dans ces années-là qu’on forge sa capacité de travail et d’exigence, et à cet égard ce passage de quelques années donne par la suite des facilités que d’autres n’ont pas – pardon à eux. Sur ce dernier point, ceux qui viennent des couches sociales moins favorisées bénéficient encore davantage du mécanisme puisqu’à l’arrivée ils ont ces facultés, alors qu’au départ ils n’avaient pas cette confiance que leurs camarades plus « bourgeois » avaient pu acquérir dans leur environnement.

Ce système de classes préparatoires unique au Monde et qui a largement fait ses preuves, de nombreux politiques veulent le supprimer et leur dernière attaque est symptomatique puisqu’elle porte sur la clé de voûte qui tire tout l’enseignement vers le haut : les professeurs. Toutes ces tentatives sont démagogiques, hypocrites et stupides : démagogiques car on veut faire croire à l’électeur qu’on s’attaque aux nantis, alors qu’en réalité on flatte la moyenne, pour ne pas dire la médiocrité ; hypocrites car nombre de ceux qui flattent ainsi leurs électeurs sont issus de ce système ; stupides enfin car ce n’est pas en copiant les systèmes d’autres pays, en s’agenouillant devant le classement de Shanghaï et en se banalisant que l’on fera progresser le pays, mais c’est bien en cultivant nos particularités et en les faisant évoluer intelligemment.
Rodolphe, Prépa scientifique, début années 80

mercredi 15 janvier 2014

Agathe



Chacun dans sa famille, mes parents appartiennent à la première génération à avoir étudié jusqu’au baccalauréat et au-delà, lui comme boursier, elle comme surveillante. Chacun dans sa fratrie, ils ont aussi été ceux qui ont poussé ces études le plus loin, sur une impulsion initiale largement due, d’après ce que j’en sais, aux deux années de classes prépa littéraires suivies par mon père. Il en gardait un souvenir émerveillé et un respect indéfectible pour les professeurs de classes préparatoires ; et aussi des amitiés durables, tellement durables qu’elles lui ont survécu.
Je crois savoir que ma mère, elle, n'a pas beaucoup aimé les années de classes préparatoires, scientifiques et littéraires, qui nous ont tant fait souffrir, mon frère et moi... Mais que le travail et les études puissent être pénibles ne nous surprenait pas. Pas plus qu’on ne s’étonnerait aujourd’hui des douleurs et chagrins endurés par un sportif de haut niveau ou un jeune artiste : le jeu en valait la chandelle. Apprendre méritait des efforts.
Je me souviens parfaitement d’avoir souffert, moralement et physiquement, en prépa. Et d'avoir râlé. Copieusement. Aujourd'hui, j'en recueille encore les bénéfices et je me souviens surtout d’avoir vécu en hypokhâgne ma première expérience de franche camaraderie, littéralement : j’étais enfin au pays des Lumières, après toutes ces années grises, parfois sombres, ennuyeuses et angoissantes à la fois, des années tout juste éclairées par d'exceptionnels amis et par ce professeur de dessin, ce professeur de français, ce professeur d’anglais...
Je me souviens de mes efforts, mais avec le temps, demeure surtout mon impression d’émerveillement face à ce flot de savoir qui m’a appris à penser par moi-même : à questionner ce que je pense, jour après jour. Grâce à ce professeur de philosophie. Emerveillement face aux cultures anciennes et modernes découvertes (alors que je croyais déjà les connaître...), entre autres, grâce à ce professeur d’histoire qui nous avait tous terrifiés en début d’hypokhâgne et qui s’était révélée être la plus bienveillante de tous. Emerveillement face à la délicieuse subtilité d’une littérature française qui nous était dévoilée, avec une générosité et une bonne humeur inoubliables, par ce professeur de français qui, en outre, m’emmena, avec ma classe, au théâtre à Paris pour la première fois. Toute fille de prof que j’étais. Emerveillement, encore et surtout, lors de ces trop rares heures d’anglais où j’en ai tant appris sur une culture dont je découvrais qu’elle était encore plus fabuleuse que je ne l’avais espéré.
Tant appris, en si peu de temps, qu’à l’heure de rejoindre les bancs de l’Université, je n’ai eu aucun problème pour suivre. J’ai juste dû réapprendre à m’ennuyer sagement pour suivre le rythme. J’ai connu des cours passionnants pendant mes années d’université. Malheureusement, ils se comptent sur les doigts d’une main et ont eu lieu pour moitié à l’ENS lorsque j’y étais auditrice libre pour préparer l’agrégation...
Pas plus que mon père je ne suis devenue normalienne à l’issu de mes (trois) années de prépa. On ne m’a jamais accusée d’être brillante. Je ne suis pas une sur-douée. J’étais seulement faite pour étudier l’anglais, dans les meilleures conditions possibles, un peu comme on peut être fait pour danser le Lac des Cygnes ou chanter La Traviata. La prépa m'a permis de le faire.
A noter : AUCUN de mes professeurs, mêmes les plus odieux (il en est), ne m’a jamais traitée comme d’autres formateurs que j’ai pu subir en dehors de l’Education Nationale ou voir dans les media...
La dette que j’ai envers mes professeurs de classes préparatoires est de celles que l’on ne peut pas rembourser : on peut juste essayer de donner à d’autres ce que l’on a reçu. J’essaie.
Agathe, Hypokhâgne et Khâgne, fin des années 80.

dimanche 12 janvier 2014

Cécile




J'ai fait deux ans de classes préparatoires littéraires au Lycée La Bruyère, à Versailles, au tout début des années 90. J'ai quitte le système éducatif français à partir de la maîtrise, pour m'installer en Angleterre, où je suis professeur de philosophie. En ce sens, mon parcours s'inscrit en dehors des sentiers battus que le système prépa trace pour ceux de ses élèves qui choisissent la voie universitaire.
J'enseigne à l'université d'Oxford, un des temples ou sont éduqués la plupart des étudiants les plus brillants du Royaume-Uni et d'ailleurs. A bien des égards, notre système favorise davantage la réflexion critique que l'acquisition d'un énorme volume de connaissances. Mon expérience de prépa fut l'inverse – et je ne pense pas être la seule - , ce que l'on peut fort bien reprocher à ce système. Et pourtant, je suis absolument convaincue que ces deux années sont le fondement non pas tant de ma carrière universitaire que de ma trajectoire intellectuelle.
Ce que je retiens de cette période, avec bien sûr son lot de difficultés et de lassitude face à l'énorme quantité de travail demandée, c'est la nécessité de toujours faire preuve d'ouverture d'esprit, un énorme appétit pour la culture générale, et une discipline de travail sans pareil, et le dévouement de mes professeurs d'alors.
Je trouverais profondément dommage que l'on abolisse ce système par esprit égalitaire mal placé. Mal placé, parce que s'il est vrai que, dans l'ensemble, les prépas sont plus faciles d'accès aux élèves socialement privilégies, il n'en reste pas moins vrai qu'elles offrent a ceux qui le sont moins une porte d'accès a un patrimoine culturel qu'ils trouveraient difficilement ailleurs.
 Cécile Fabre, Prépa littéraire, Lycée La Bruyère, Versailles, 1989-90